L'authenticité
Une fois j’ai écouté un peintre qui a dit : « Giacometti a fait la figure humainehaute et mince, Botero l’a fait grosse et petite et moi, je veux la faire…».
L’originalité n’a pas seulement pour but le fait d’être original
Pour être original, on doit avant tout être authentique. L’originalité recherche la différence et celle-là peut être authentique, mais l’authenticité suppose un travail en profondeur sur le style, qui devient toujours l’essence même du contenu. Et quand une représentation se transforme en cliché, en concept, même si elle est originale, tout devient une manière de faire, un schéma. L’œuvre d’art présente toujours une unité entre le contenu et la forme.
Mais quelle est la définition de l’authenticité? Voilà le Petit Robert : « Authenticité : qualité de ce qui mérite d’être cru, qui a la vérité ».
J’ai l’intention de faire ma dissertation sur le thème de l’authenticité par rapport aux arts, parce que dans ce monde la vérité est essentielle à sa propre existence. En art, la connaissance exprime toujours une vision nouvelle et unique de l’univers. L’artiste voit la réalité avec son propre et inimitable regard. L’image artistique est une métaphore.
Dostoïevski écrit : « Le poète crée lui-même la vie et une vie telle qu’elle n’a jamais existé avant lui…» et Tarkovski ajoute : «Et qu’est-ce que les moments d’illumination sinon la vérité perçue en un instant ?».
On retrouve déjà les mots réalité, vérité et authenticité qui sont reliés entre eux, mais quelle est vraiment leur relation?
L’authenticité est reliée au concept de la vérité intérieure
Depuis qu’Ève croqua la pomme de la connaissance, l’humanité a fait la recherche perpétuelle de la vérité.
La philosophie recherche la vérité pour savoir à la fin qu’il n’y a pas de logique et que les efforts de l’homme pour trouver un sens à sa vie sont vains.
Cependant, l’artiste crée une réponse à cette question, peut-être est-ce un mensonge mais, comme dit Cocteau : « Comprenne qui pourra : Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité ».
Les arts nous font appréhender le réel à travers une expérience subjective.
On parle ici d’une vision du monde, une façon particulière d’aborder la réalité, qui devient une manière de penser, une philosophie qui fait la démarche dans la vie de l’artiste jusqu'à la fin de ses jours.
L’artiste est un explorateur et, comme le scientifique, sa recherche se fait sur la réalité. Cependant, les arts mettent l’accent sur un monde qui n’est pas tangible. Contrairement aux sciences, les arts n’ont aucun objectif pratique au sens matériel. L’art ne donne pas une logique, mais exprime une croyance, un postulat. L’artistique est d’y croire.
Il n’y a pas que la vision subjective de l’artiste qui devient le matériau de création et qui peut donner une réponse complexe, unique à la question de notre propre existence.
On peut dire que nous cherchons la vérité dans notre propre réalité pour trouver à la fin une réponse qui nous est propre.
« Chacun de nous a une façon particulière d’être humain »
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, le concept d’authenticité dans les arts s’inspire du monde extérieur qui a besoin d’enregistrer son propre déroulement historique. L’apparition de nouvelles technologies comme la photographie et le cinéma à la fin de ce siècle et les grands changements de la pensée déplacent le concept d’authenticité vers notre propre intériorité. Dieu habite en chacun de nous et Il n’est pas une image extérieure à nous.
L’apparition du courant impressionnisme dans la peinture, à ce moment-là, est le passage entre un art qui regarde la réalité externe et un art qui met l’accent sur notre propre manière de voir cette même réalité. Je pense ici à Van Gogh.
La modernité a changé l’idéal de l’authenticité. Elle a compris « … que chacun de nous a une façon particulière d’être humain : chaque personne possède sa propre mesure», dit Taylor par rapport à Herder.
La liberté intérieure est donnée dès l’origine à tout être humain. Mais l’homme ne vit pas seul, il doit ajuster sa liberté aux autres individus et au système social. La culture, les modes, la technologie, l’économie, tout limite notre liberté d’une certaine manière. Je ne me souviens pas des paroles exactes, mais Oscar Wilde a soutenu « … que si nous sommes bien avec
nous-mêmes c’est difficile d’être bien avec la société dans laquelle nous habitons ».
D’un autre côté, la modernité nous offre le respect de l’individu et la possibilité de trouver notre authenticité. Taylor dit que notre salut moral se trouve dans le contact avec notre authenticité.
Cependant, pour avoir la liberté par rapport à l’authenticité, on doit faire le sacrifice de travailler sur soi-même. Mais je comprends le sacrifice dans un sens absolument existentiel et non comme une conception religieuse. Ce sont les efforts que l’on doit faire en face du travail lui-même. C’est le but de notre propre existence, comme homme et comme artiste. Je me rappelle le personnage de Camus dans La peste quand il se demande pourquoi il continue son travail de médecin auprès de gens pestiférés qu’il sait mourants, et sa réponse est que cela est son but, il doit continuer sa mission.
Mais l’homme contemporain déteste travailler sur lui-même, il préfère vivre atomisé et nivelé.
La vérité intérieure est reliée à la liberté intérieure
Je partage l’idée que l’authenticité des événements et la liberté intérieure ne se ramènent pas à la fidélité au fait brut mais plutôt au compte rendu exact de la perception qu’on en a eu. Et c’est pour cela que l’on doit avoir le courage de confronter notre propre authenticité face à la société et aux autres individus.
Mais on n’entend pas par liberté une conception égocentrique et d’un égoïsme effréné, tel que le propose une certaine culture contemporaine. Car la liberté ne s’affirme pas sur l’acte personnel mais elle est au service d’un idéal individuel. Son sens donne sa vocation à l’être humain.
Taylor dit : « Telles sont les tensions et les faiblesses de la culture de l’authenticité qui, jointes aux pressions d’une société atomisée, la poussent au dérapage ».
L’artiste doit faire un compromis avec lui-même, il est un serviteur, et seulement à ce moment son art devient bénéfique à toute la société. L’art s’affirme et existe pour le spirituel. La condition essentielle est que l’artiste croit à sa vocation. Les arts sont toujours aristocratiques, mais dans un sens intime. Quand un art est authentique, il devient universel.
Et il a une fonction évidente de communication. L’art est un métalangage, par lequel les hommes essaient de communiquer entre eux. Je ne crois pas qu’un artiste puisse créer seulement pour « l’expression de soi ». Dès qu’un homme s’exprime, il crée une communication envers les autres. Une expression qui ne tienne pas compte de l’autre est une absurdité. Fassbinder a dit : « …On fait tout pour être aimé… ». Mais ici on ne parle pas d’un art fait pour consommer, on parle d’un art fondé sur la croyance, la foi qui veut comprendre l’homme et le monde. Mais un art qui a un rapport spirituel avec les autres et qui n’est pas rentable, exige du sacrifice.
L’authenticité est le travail de toute une vie
L’authenticité est le salaire d’un travail spirituel permanent, c’est le contraire du pragmatisme de notre époque. On retourne ici de nouveau au concept du sacrifice. On ne peut rencontrer notre propre authenticité que dans des efforts permanents et en étant fidèle à soi-même. Et cela est un idéal humain.
En guise de conclusion, on comprend que les concepts d’authenticité, de vérité et de liberté intérieures sont reliés entre eux.
On constate finalement que le problème de l’authenticité dans les arts n’est pas une question de se proposer original. C’est l’aventure de l’âme et du travail de toute une vie, c’est la recherche passionnée qui veut tout comprendre. Comme explique Taylor : « L’authenticité implique une création et une construction aussi bien qu’une découverte, une originalité, et souvent une opposition aux règles sociales et même, éventuellement, à ce que nous reconnaissons comme la morale ».
Mais ce sont là les concepts qu’on retrouve dans tous les domaines humains.
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