Une lettre de désamour
Montréal,
6 juillet 2013
Ceci
qui suit n’est pas une lettre d’amour, mais une lettre de désamour.
Ministère
de la Culture et des Communications du Québec, monsieur Maka Koto, Conseil des arts du
Canada, monsieur
Robert Sirman, Conseil des arts du Québec, monsieur Stéphan La Roche, Ministère de la Culture et
de la Communication du Québec, madame
Hélène Bisette, Ville de Montréal, monsieur Paul Langlois, MAI
(Montréal, arts interculturels),
madame Régine Cadet,
À toute
la bureaucratie culturelle,
À des
commissaires, à des critiques qui font partie de ce système.
Je
voudrais, par cette lettre, mettre un point final — chose très difficile — à
une histoire qui a commencé il y a longtemps, une histoire d’espoir, d’illusion,
d’amour, puis de désamour.
Vous savez, quand on a vécu en dictature, on idéalise
la démocratie, même celle du Big Brother dans laquelle nous vivons actuellement.
Quand en 1998 je suis arrivé au Québec, c’était ma
terre promise, à moi, Argentin juif Polonais Chilien, qui vivais dans la
diaspora.
Je pensais qu’ici, dans ma terre promise, je
trouverais la liberté et le bonheur que je ne rencontrais pas dans la terre où
je suis né. Je pensais qu’ici j’aurais des moyens pour faire fleurir mon art et
mon humble personne.
Quel paradoxe ! Je suis venu au Québec à cause de mon
orientation sexuelle bafouée au Chili. J’ai fini par avoir une belle vie de
famille, mais j’étais discriminé pour mon art — la terre promise dont les juifs
rêvent est un idéal !
Pendant les années d’intégration à mon nouvel habitat,
j’ai travaillé comme intervenant psychosocial et, dans les heures obscures de
la nuit, j’écrivais, je dessinais, je me munissais de vieilles et de nouvelles histoires,
je réalisais un journal d’artiste, où, en mélangeant temps et situations, je
racontais mon parcours d’immigration. Une histoire de désolation, de violence,
de discrimination, mais aussi d’espoir. Que ferions-nous sans l’espoir ?
Des temps nouveaux arrivaient, je me suis alors dédié à
temps complet à mon art, moi qui, avant de m’exiler, avais choisi la liberté, celle
de ne pas vivre de mon art, de ne pas me commercialiser, de ne pas entrer dans la
sacrée chapelle du succès social. C’est que j’ai dû attendre longtemps avant de
m’y consacrer entièrement, étant là-bas mon propre producteur, je construisais cette
œuvre avec mes efforts et la solidarité des amis. Mais voilà qu’ayant dû
immigrer au Canada ma vie a changé, mes moyens financiers aussi.
J’ai donc décidé d’aller chercher le soutien de l’État
et des organismes d’appui à l’art. J’ai commencé à chercher du financement pour
l’élaboration et la publication de mon journal, mais je ne le trouvais pas :
quatre, cinq, six demandes ont été faites, une seule réponse, celle d’un
fonctionnaire du Conseil des arts du Québec : votre
projet étant très personnel, il
trouvera difficilement du financement.
J’ai
fini par l’emprunter (2000 dollars). Puis l’achat d’un exemplaire par
la Bibliothèque National de Québec m’a renfloué de 250 dollars. Ma
satisfaction de l’avoir fait après dix années de travail n’avait, elle, pas de
prix, si ce n’est la constatation d’une solidarité toute conditionnelle dans
une société où tout doit se payer.
Par la suite, j’ai eu l’appui du Montréal, arts interculturels
(MAI), organisme qui m’a offert la cafétéria pour le lancement de mon journal
(200 dollars). J’ai pensé alors que les choses commençaient peut-être à
changer.
Alléluia, nouveau projet : j’ai proposé d’exposer,
à Montréal et en Colombie, une série des peintures que j’avais faites il y a 25
ans. Je trouvai l’aide d’une jeune fille, Marie-Charlotte Franco, qui fait
aujourd’hui son postdoctorat en muséologie. Ensemble, nous avons élaboré le
projet Macho+Macho- et l’avons présenté au MAI (Montréal, arts interculturels)
puis au Collectif d’art ‘Laagencia’ de Bogota, en Colombie. Deux demandes au
Conseil des arts du Canada et du Québec, enfin beaucoup de travail, toujours
dans l’espoir, assez naïf, d’obtenir de l’aide. De la Colombie, nous avons eu
une réponse positive, mais aucun financement. Au Canada, au Québec, rien, ni de
salle, ni d’argent. Toujours des lettres impersonnelles avec la même réponse.
Il semblerait qu’au
Québec et au Canada on a peur de mes hommes nus et de mon art.
Comme je suis un être humain, frustration et colère
m’ont envahi.
Puis j’ai compris, finalement, tout comme le controversé
biologiste chilien Humberto Maturana, qu’a dit : « Je n’obtiendrai jamais
le Nobel ». Et, comme l’écrivain Jorge Luis Borges que avec son humeur et son
ironie a fait cette phrase célébré : « Vous allez
reconnaître mes mérites quand je ne pourrai pas reconnaître les vôtres », je
sais, maintenant, que je n’obtiendrai jamais une bourse ou une place pour
montrer mon travail ici, je suis un marginal, un immigrant, et je ne fais pas
du post-art (conceptualisme).
* * *
Je
n’ai eu aucune réponse à cette lettre, et je sais aujourd’hui que je n’en aurai
pas. Qui ne dit pas un mot consent. Des lettres d’excuses, oubliez cela, nous
sommes ignorés dans un système qui priorise l’économie néolibérale et la
médiocrité.
Je
suis sincèrement déçu de cette démocratie des élites, d’autant de mensonges,
d’hypocrisie. Peut-être suis-je trop sensible à l’injustice, très naïf et très
idéaliste.
Mais
je suis frustré et tanné de votre art : de ce post-art bourgeois et oiseux qui déprécie le travail, des
artistes qui ne travaillent pas, qui volent, qui copient, qui surévaluent les
objets pour un caprice de la mode, qui exaltent la surconsommation. Le post-art
fait le grand éloge de la décadence du capitalisme.
« Prétendre que le talent,
la discipline, l’esthétique et la technique dans l’art sont des choses du passé,
c’est tenter d’imposer la médiocrité comme signe de distinction de notre époque.
‘La mort de la tyrannie du génie’ est la dictature des médiocres. Aujourd’hui il
existe des artistes complets, qui travaillent leur œuvre, qui sont dans le développement
et la recherche constante, révolutionnaire, de la peinture, la sculpture, la
gravure, et qui sont marginalisés pour que la médiocrité ait ‘le droit de la création’.
L’empire de ces gens-là, qui désignent ses urines comme de l’art, qui se sont approprié
des galeries, des musées, protégés par des commissaires et des critiques qui
s’en servent comme couverture théorique et les applaudissent, convertissant
l’art en une trame spéculative, dans un business vulgaire. » [Traduction libre d’un article d’Avelina Lesper.]
Dans The
End of Art, Donald Kuspit soutient que « l’art a pris fin parce qu’il a perdu sa charge esthétique.
L’art a été remplacé par le ‘post-art’,
terme inventé par Alan Kaprow comme une nouvelle catégorie visuelle qui élève
le banal au-dessus de l’énigmatique, l’eschatologique au-dessus du sacré, l’intelligence
au-dessus de la créativité ».
« Reliant la disparition de l’expérience esthétique aux œuvres et à la
théorie de Marcel Duchamp et Barnett Newman », dans un synopsis de son livre, Kuspit
soutient que « la dévaluation est inséparable du caractère entropique de l’art
moderne et que l’art postmoderne disgracieux constitue sa phase finale.
Contrairement au premier, qui exprimait l’inconscient humain universel, le
second a dégénéré en une expression d’intérêts idéologiques étroits. » En
réaction au vide et à la stagnation de l’art post-moderne, Kuspit pointe vers l’avenir
esthétique et humain apporté par les New Old Masters, il prône une revue large
et incisive du développement de l’art au XXe siècle.
J’ai
survécu à deux dictatures, mais je n’ai pas survécu ici, au Québec, au Canada,
je suis invisible, pas physiquement, mais comme être social, comme artiste.
C’est cela ma lettre de désamour. Et comme
dit le boléro :
Je doute, je doute...
Que vous trouverez un amour plus pur.
Que celui que vous avez en moi.
Vous trouverez mille aventures sans amour.
Mais pas d’illusion sincère...
Comme celle que je vous donne!
Sincèrement,
José Szlam
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